À Béthune, la lecture s’invite dans le couloir du tribunal pour enfants

Lis avec moi, dispositif de l’association La Sauvegarde du Nord, propose des lectures à voix haute dans le couloir d’attente du tribunal pour enfants de Béthune. Amorcées en 2023 à la demande du tribunal, elles contribuent à apaiser les jeunes et leur famille et à adoucir le temps d’attente.

Réinvestir l’espace judiciaire par les livres

Les enfants qui viennent au tribunal attendent une décision judiciaire impliquant des conséquences importantes pour leur avenir, telles qu’un suivi ou un placement en protection de l’enfance. Certains d’entre eux sont auteurs de violences et se trouvent dans l’incertitude de la peine qui va leur être appliquée. Parfois, les membres d’une même famille sont séparés dans le couloir d’attente, chaque parent avec son avocat. Dans tous les cas, le temps d’attente est long, d’autant plus lorsque parents et enfants sont auditionnés à tour de rôle.

Deux lectrices salariées et deux lectrices bénévoles formées de Lis avec moi se rendent au tribunal pour enfants de Béthune, où des lectures sont proposées une fois par semaine. Elles y passent la matinée et vont de groupe en groupe lire des histoires aux familles qui patientent. Les lectures ont lieu dans le couloir et sont, très souvent, entrecoupées ou interrompues par les audiences avec le juge. Elles se font en deux temps : un temps de lecture à voix haute assurée par les lectrices, un temps individuel de découverte des livres. Le deuxième temps permet aux familles de retrouver une forme d’intimité et aux lectrices d’aller lire à un autre enfant ou à un autre groupe, de la façon la plus souple possible.

Enfants et parents sont souvent désireux d’écouter une histoire, même si certains adultes refusent lors de la première proposition. L’enjeu pour les lectrices est de savoir identifier les situations qui nécessitent un repli sur soi et d’accueillir ce refus. Il s’agit également de proposer des lectures qui vont intéresser des jeunes de tous âges, comme Lis avec moi le fait dans d’autres endroits.

La plupart des livres sont mis à disposition dans le couloir, dans des caisses en libre accès, afin que les enfants puissent aussi les découvrir par eux-mêmes. Les collections proviennent des fonds des lectrices et de la Médiathèque départementale du Pas-de-Calais, partenaire du projet.

La présence des livres rend l’espace judiciaire, par essence impersonnel et froid, plus accueillant, presque ludique, comme l’observe Johann Ruocco, premier vice-président chargé des fonctions de juge des enfants. À l’initiative de ce dernier, les murs du couloir ont même été décorés avec des affiches de littérature jeunesse.

La lecture comme source d’apaisement

Les lectures apaisent les enfants, quelle que soit la raison de leur présence. Les juges constatent en effet qu’au moment de l’audience, ils sont moins nerveux, moins angoissés, plus concentrés après avoir écouté une histoire. « Quand il y a des lectures au tribunal, je sais que cela va être moins tendu et plus calme », atteste une éducatrice. 

De même, les intervenantes observent que les tensions au sein des familles s’amenuisent au fil de la lecture : progressivement les corps se détendent, des sourires affleurent sur les lèvres. Le livre est un objet qui permet de se retrouver dans un acte commun de lecture et de partage : il aide à tisser des liens entre parents et enfants, d’autant plus lorsque les relations sont compliquées, lorsque les uns et les autres n'osent pas ou ne savent pas comment briser la glace. 

Ces moments hors du temps permettent aussi de créer des liens entre jeunes qui écoutent la même histoire. « De ce partage entre enfants, entre adultes et enfants, naissent des émotions joyeuses », atteste Isabelle Stella, directrice de Lis avec moi. Certains parents sont même surpris de la réaction positive de leur enfant face aux livres, persuadés que ce dernier n’aimait pas lire. Tous les adultes soulignent l’enthousiasme des enfants qui « dévorent » les histoires sans se lasser. 

Marie-Françoise Ten, lectrice de l’association, témoigne : « Très souvent il y a un regard un peu perdu qui s’anime, c’est très fort et ça me marque, ces yeux qui semblent éteints et qui viennent se rallumer et pétiller lors des lectures. » 

Ce projet connaît un tel engouement auprès des enfants, des parents et des professionnel·les présent·es au tribunal (juges, avocat·es, éducateurs et éducatrices) que l’association a aussi été sollicitée par les tribunaux pour enfants de Dunkerque et de Lille.

La lecture d’albums donne un accès à « la dimension symbolique du réel »

Parfois, les lectrices sont confrontées à des situations difficiles, notamment lorsque des parents n’ont pas le droit de parler à leurs enfants et sont séparés d’eux dans la salle d’attente. La sélection des livres est indispensable : ceux qui abordent trop directement le thème de la famille sont écartés. Les médiatrices se tournent vers des histoires courtes, des albums drôles, ludiques, interactifs, des livres qui apportent davantage de légèreté. 

« Les albums viennent nourrir un monde intérieur, explique Isabelle Stella. Ils donnent à ces enfants, à ces familles un accès à la littérature, à la métaphore, à l’image. Dans un bon album, aussi simple soit-il, il y a un décalage, un petit pas de côté par rapport au langage ordinaire qui va faire la différence. La fiction racontée dans ces livres est un miroir qui parle de nous indirectement mais qui vient en même temps apporter de la complexité de manière subtile. Elle vient nourrir notre pensée sans la dicter ». 

Selon Isabelle Stella, par les lectures, l’association veut aussi permettre à ces enfants de « vivre l’expérience que tout lecteur ou toute lectrice a déjà vécu : l’impression qu’un livre a été écrit pour soi ».