© Kathy-Liana BRAVO
En Martinique, des ateliers d’écriture pour renouer avec les mots dans un service de la PJJ
Le Labo des histoires de Martinique propose depuis 2023 des séances d’écriture et d’oralité à des jeunes pris en charge dans le cadre d’un parcours d’insertion de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). L’objectif : les encourager à rendre compte de ce qu’ils ou elles vivent.
Le Labo des histoires est une association créée en 2011, qui cherche à développer les pratiques d’écriture créative des jeunes entre 6 et 25 ans. Implantée dans plusieurs régions de l’Hexagone, elle a aussi des antennes en outre-mer, dont une en Martinique. Sur ce territoire où les librairies indépendantes sont rares, le décrochage des adolescent·es vis-à-vis de la lecture est patent et leur fréquentation des bibliothèques marginale. Professionnel·les du livre et de l’éducation s’efforcent de les faire renouer avec l’écrit. Les actions du Labo des histoires s’inscrivent dans cette dynamique.
La yole comme point de départ
L’unité éducative d’activités de jour (UEAJ) du Lamentin accueille des jeunes de 13 à 21 ans sous main de justice ou en conflit avec la loi, et en difficulté d’insertion scolaire ou professionnelle, dans le but de les remobiliser sur l’un de ces deux plans. Entre autres, elle propose un parcours d’insertion nommé « Bwa Drésé » qui consiste, en complément d’activités éducatives plus courantes, à pratiquer la yole. Inscrite au patrimoine immatériel de l’Unesco, la yole est une embarcation conduite par sept ou huit co-équipiers. Sa navigation nécessite, de la part des « yoleurs », de la force physique et de l’agilité, mais aussi une grande coordination et une communication efficace entre les membres de l’équipage. Le parcours « Bwa Drésé » encourage ainsi l’esprit d’équipe, tout en luttant contre les addictions. Il contribue également à renforcer l’estime de soi, car les « yoleurs » ont un certain prestige au sein de la population. Dix à quinze adolescent·es bénéficient chaque année de ce programme.
Les éducateurs et éducatrices rencontrent toutefois des difficultés à obtenir des retours de la part des bénéficiaires, tant sur le parcours que sur leur rapport à la yole. Pour faire émerger leur parole, un partenariat est noué en 2023 entre l’UEAJ et le Labo des histoires. Kathy-Liana Bravo, directrice de l’antenne martiniquaise de l’association, organise alors des ateliers d’écriture scénique, animés par un journaliste reporter d’images. Des ateliers naissent des vidéos réalisées par les participants, dans lesquelles ils témoignent de leur relation à ce sport nautique. L’année suivante, en 2024, c’est une journaliste spécialiste de l’écriture radiophonique qui intervient pour leur faire réaliser une série de podcasts invitant d’autres jeunes à participer au parcours.
Écrire sur une pratique sportive… et mettre des mots sur son rapport à soi et au monde
Les ateliers se déroulent pendant dix jours consécutifs et durent deux heures. La participation s’effectuant sur la base du volontariat, le nombre de participants est variable d’une séance à l’autre.
Kathy-Liana Bravo met en avant l’intérêt de l’animation par un·e intervenant·e extérieur·e : « La présence du ou de la journaliste, qui ignore tout du monde de la yole, renforce la légitimité des jeunes vis-à-vis de leur pratique. Ses questions les invitent à se placer dans la posture d’experts qui vont décrire ce sport en utilisant des mots techniques. »
« Progressivement, l’intervenant·e parvient à instaurer un climat de confiance avec les bénéficiaires en adoptant une posture bienveillante », continue-t-elle. Au début des ateliers, c’est surtout le ou la journaliste qui répond aux questions des jeunes mais petit à petit la dynamique s’inverse. Ces derniers finissent par se livrer, en mettant parfois des mots sur la façon dont ils se perçoivent et considèrent leur place dans la société.
Rompre avec une approche scolaire de l’écriture
Un petit déjeuner ouvre chaque séance et contribue à souder le groupe. Il s’agit en effet de montrer que l’écriture peut aussi être le fruit d’un travail collectif. Les participants sont ainsi encouragés à prendre la plume en binôme ou en trinôme. Cela permet notamment à ceux qui ont des troubles dyslexiques de surmonter leur appréhension à écrire, car d’autres vont les aider à retranscrire leurs propos.
L’écriture et l’oralité s’entrecroisent en permanence. Lors des premiers ateliers, afin de lever les réticences des jeunes à prendre le stylo, l’intervenant écrit les idées énoncées oralement, puis les incite peu à peu à retranscrire leurs propos en petits groupes. Inversement, les mots écrits donnent lieu à des restitutions orales, comme dans le cas des podcasts. L’enjeu, explique Kathy-Liana Bravo, est de les réconcilier avec une pratique qui est souvent associée au cadre scolaire.
Les éducateurs et éducatrices jouent un rôle important lors de ces séances. Leur présence permet que toutes les conditions soient réunies pour faire advenir l’écriture. « La relation de confiance entre les adolescent·es et leurs encadrant·es permet de désamorcer les risques de conflits qui pourraient naitre, témoigne Kathy-Liana Bravo. Lors des séances de yole, ces professionnel·les sont aussi sur le bateau. De cette situation émerge une vraie cohésion entre les adultes et les jeunes qui leur sont confiés. »
Cohésion entre jeunes et éducateurs et éducatrices, cohésion également entre les « yoleurs » et les autres jeunes de l’UEAJ lors de la restitution des ateliers d’écriture. À cette occasion, les participants présentent oralement leurs productions devant l’ensemble de l’établissement.
Les ateliers d’écriture comme portes d’entrée possibles vers le livre et la lecture
Depuis janvier 2025, le partenariat avec la PJJ s’est enrichi d’un autre projet avec l’unité éducative de milieu ouvert (UEMO) Atlantique. Dans le cadre des Nuits de la lecture, Kathy-Liana Bravo a planifié au sein de la bibliothèque Schoelcher, qui abrite l’antenne régionale du Labo, une rencontre entre les adolescents et l’auteur de manga Raphaël Décilap, suivie d’un atelier. Cet évènement a été l’occasion d’organiser une visite de la bibliothèque, une première pour certains. À l’issue du rendez-vous, les jeunes ont acheté des ouvrages dans une librairie de proximité grâce aux Chèques lire distribués par le ministère de la Culture.
Transformer le rapport aux livres des plus jeunes… mais aussi des plus âgés. Les liens entre la PJJ et le Labo des histoires amènent aussi les éducateurs et éducatrices à ne plus considérer le livre comme un objet sacré qu’il faudrait protéger des autres, y compris des adolescent·es : il devient un élément du quotidien, qui se révèle être parfois un terreau de rencontres et de relations humaines.