Le Facile à lire trouve toute sa place en milieu carcéral
Par Florence Jarry
En région Hauts-de-France, le taux d’illettrisme en détention est bien supérieur à la moyenne des prisons françaises : jusqu’à 30 % contre 11 %* en 2021. Pour amener les détenus à la lecture, deux établissements pénitentiaires de l’Oise ont installé un espace Facile à lire dans leurs bibliothèques.
« J’ai découvert le dispositif Facile à lire en suivant une formation animée par Françoise Sarnowski sur l’accueil en bibliothèque d’adultes en situation de handicap », témoigne Laurent Van Tiel, agent de la Médiathèque départementale de l’Oise et référent Handicap, illettrisme et centres pénitentiaires. « Quelque temps après cette formation, un détenu du centre de détention de Liancourt est venu me demander conseil. Cet homme n’était pas un grand lecteur et je n’avais alors quasiment que des livres de plus de 200 pages à lui proposer. En cherchant, j’ai trouvé la nouvelle de Jean Giono, L’Homme qui plantait des arbres. Quinze jours plus tard, le détenu est revenu, fier d’être arrivé au bout de sa lecture. J’ai compris que le Facile à lire pouvait être une voie à explorer en milieu carcéral. »
Laurent Van Tiel bénéficie alors de l’appui du directeur du centre de détention de Liancourt pour moderniser la bibliothèque, renouveler le fonds de référence, avec du multimédia et de l’audiovisuel. Il en profite pour impulser la démarche Facile à lire.
Une démarche à petits pas
Redonner vie à un espace bibliothèque dans un établissement carcéral ne se décrète pas. Il faut convaincre le personnel de l’intérêt commun de faire vivre ces espaces, aller chercher les forces alliées et faire sa place. « Au début, j’étais un peu démoralisé. Mais je me souviens d’un chef de détention qui m’a dit : "Vous faites du bien aux détenus et cela fait du bien aux surveillants". Ce qui fait du bien aux surveillants me fait du bien. Donc, on continue ! »
À Liancourt, la démarche Facile à lire a été montée avec l’aide du personnel pénitentiaire, sanitaire et social, le personnel scolaire, les surveillants et leurs cadres, avant d’être mise en place à la maison d’arrêt de Beauvais.
« Je me souviens d’un chef de détention qui m’a dit : "Vous faites du bien aux détenus et cela fait du bien aux surveillants. Ce qui fait du bien aux surveillants me fait du bien. Donc, on continue !" »
Identifier des livres Facile à lire
Les livres Facile à lire sont des livres de l’édition courante qui répondent à certains critères : des textes courts, une police plutôt grande, sans empattement, une mise en page aérée, un vocabulaire et des temps de conjugaison simples, etc. « Des listes de livres Facile à lire circulent en ligne, comme la Sélection Facile à lire de la Médiathèque départementale d’Ille-et-Vilaine, signale Laurent Van Tiel. Nous invitons aussi les détenus à suggérer des livres Facile à lire ». Les établissements de Beauvais et de Liancourt ne participent pas au prix Facile à lire qui consiste à faire voter les détenus et le personnel pour sélectionner les livres Facile à lire. « Nous avons déjà mis en place le prix Goncourt des détenus qui se pérennise et nous ne pouvons pas mener les deux de front ».
Des espaces Facile à lire personnalisés
En créant des lieux attrayants, ouverts, bien visibles, les espaces Facile à lire invitent à la lecture. « Les livres sont présentés de face, comme en librairie, le roulement régulier de ces titres suscite la curiosité. À Beauvais, où nous avons un stock de 300 à 400 livres, ce sont les détenus qui ont fabriqué eux-mêmes le meuble Facile à lire durant leur atelier menuiserie. Et à Liancourt, les supports aux murs accueillent une cinquantaine de livres à la fois ».
Afin de faire vivre la démarche Facile à lire, Laurent Van Tiel s’appuie sur les auxiliaires de bibliothèque pour le travail de médiation autour du livre. « Nous proposons à ceux qui le souhaitent de lire à voix haute pour ceux qui ne savent pas lire ». Sont également mis en place des lectures partagées, des ciné-débats, des ateliers de conversation pour les détenus non francophones qui ont besoin de pratiquer l’oralité, des ateliers BD… « Il ne faut pas hésiter à s’appuyer sur des structures implantées sur le territoire : des professionnels du livre et de la lecture, des associations, des auteurs en résidence… ».
Des résultats au rendez-vous
Le Facile à lire est un outil efficace d’inclusion. « Pour les personnes en situation d’illettrisme ou en grande précarité vis-à-vis de la lecture, la confiance en soi est ébranlée. Un sentiment accentué en détention, où la maîtrise des fondamentaux est essentielle. En effet, toutes les demandes administratives, même les plus simples, se font par écrit . Mettre en confiance le détenu vis-à-vis de la lecture et de l’écriture le fait gagner en autonomie. »
Le Facile à lire est également valorisant pour les auxiliaires de bibliothèque : « Ils prennent en main les ateliers et mobilisent. Aujourd’hui, à Liancourt, un détenu sur deux fréquente la bibliothèque ! La clé du succès de cette démarche, qu’on se le dise, c’est de rassembler autour du livre. ».