La littérature jeunesse comme outil de médiation
Par Aline Chambras
De 2021 à janvier 2023, l’association La Petite Bibliothèque Ronde a mené une série d’interventions à la maison d’arrêt de Nanterre visant à promouvoir la littérature jeunesse auprès des détenus. Explications.
La Petite Bibliothèque Ronde, créée en 2007 pour prendre la suite de l'action de terrain menée initialement par La Joie par les livres, est une bibliothèque jeunesse associative située à Clamart, dans les Hauts-de-Seine. Elle s’est donné pour ambition de favoriser la lecture auprès du jeune public en France et se veut autant un lieu de lecture qu’un lieu de vie pour les enfants du quartier. Outre ses activités in situ, La Petite Bibliothèque Ronde mène de nombreuses actions hors les murs avec ce credo : se servir du livre jeunesse comme un outil de médiation artistique et sociale. C’est d’ailleurs tout l’objet du projet mené durant un an avec le centre pénitentiaire et le service pénitentiaire des Hauts-de-Seine : « Notre volonté était simple, il s’agissait, en faisant la promotion de la littérature jeunesse auprès des détenus de la maison d’arrêt de Nanterre, de les amener à voir dans ces ouvrages autant de ponts avec leur propre jeunesse, comme avec celle de leurs enfants ou de leurs proches. Pour au final, faire de cette littérature jeunesse un levier qui leur permette de (re)tisser des liens, familiaux notamment, et de favoriser communication et expression », explique Julien Maréchal, le directeur de La Petite Bibliothèque Ronde (PBR) depuis 2018.
"Faire de la littérature jeunesse un levier qui permette [aux détenus] de (re)tisser des liens, familiaux notamment, et de favoriser communication et expression."
La lecture, un acte collectif
Dans un premier temps, l’équipe de La PBR a aidé l’établissement pénitentiaire à constituer au sein de sa bibliothèque un fonds « jeunesse » composé d’environ 400 ouvrages (albums, documentaires, contes illustrés, etc.). « Doter une prison qui accueille des personnes majeures d’un fonds de livres jeunesse nous paraissait tout à fait naturel : les détenus racontent des histoires à leurs enfants, leurs frères ou leurs sœurs... Donc oui, pour nous la littérature jeunesse a toute sa place dans une prison. De même que dans une médiathèque publique, il y a bien un espace jeunesse », commente Julien Maréchal. « D’autant qu’à La PBR, nous envisageons la lecture autant comme un acte individuel que partagé. La littérature jeunesse n’est-elle pas la parfaite illustration de cette dimension collective de la lecture ? Ce sont des livres qu’on lit souvent à haute voix à quelqu’un ».
« À La Petite Bibliothèque Ronde, nous envisageons la lecture autant comme un acte individuel que partagé. »
Une fois ce fonds jeunesse établi, des séances de lecture découverte ont eu lieu dans la bibliothèque de la prison. À chaque fois une dizaine, voire une vingtaine de détenus ont participé. « Pour eux, c'étaient vraiment des temps apaisants, il régnait un calme impressionnant lors de ces séances ». Au programme de ces « lectures publiques », on trouve, Bonsoir Lune de Margaret Wise Brown (L’École des Loisirs), Mon Papa d'Anthony Brown (Kaléidoscope) ou encore Cigale de Shaun Tan (Gallimard Jeunesse). « On a parfois du mal à se représenter la profondeur des livres jeunesse, mais, j’insiste, c’est de la vraie littérature. Après la lecture de Cigale, qui parle de l’aliénation au travail, la séance a été un vrai moment de prises de paroles et de discussions », indique Julien Maréchal.
Fresque collaborative
En parallèle de ces temps de lecture, l’illustratrice Carole Chaix est venue animer des ateliers avec les détenus. « Quand La PBR m’a sollicitée, j’ai failli refuser, car jusque-là je n’avais jamais fait d'interventions dans les établissements pénitentiaires. J’ai du mal avec l’idée d'enfermement », précise la quinquagénaire, pourtant adepte de « l’illustration tout terrain ». Mais, après réflexion, elle accepte et ne le regrette pas. Sa mission : réaliser avec les détenus et leurs familles une fresque participative en lien avec la littérature jeunesse, susceptible d’être ensuite exposée dans différents lieux de l’établissement, dans les locaux de La Petite Bibliothèque Ronde et dans tout autre lieu qui souhaiterait l’accueillir. « Mon travail consistait à dessiner la trame de cette fresque en noir et blanc, puis ce sont les détenus et leurs familles au parloir qui l’ont coloriée. Bien sûr, cet exercice a été le support de nombreux échanges. C’est un projet vraiment étonnant qui s’est construit comme une performance de littérature jeunesse », détaille l’illustratrice.
Forte de cette première en milieu pénitentiaire, La PBR envisage de mener un projet similaire auprès de mineurs placés dans un centre éducatif fermé (CEF).